L'homme est né pour jouir. Ainsi parle l’enfant même au berceau, appelant le sein de sa mère; et le vieillard qui se plait encore à attiser la Flamme du foyer; l'enfant qui s'amuse avec ses jouets ; la fille qui aime la danse; le jeune homme qui aime le bain et la mère de famille, livrée tout entière aux apprêts des fêtes domestiques; et le père joyeux, rentrant dans sa demeure et recevant les douces caresses de ses enfants.

Toute la création connaît le plaisir et la jouissance. Pourquoi ces biens seraient-ils refusés à l'homme, doué d'une sensibilité plus exquise, plus délicate ?

Certainement, l'homme est fait comme tous les êtres pour la jouissance et le plaisir, mais, seul, il dépasse, dans le choix et le nombre de ses jouissances, la juste mesure. Un animal, vivant en liberté, ne prend pas d'autre nourriture que celle qui convient à sa nature et sa santé; il en prend ce qu'il faut pour son bien-être, et rien de plus; il ne boit que pour se désaltérer; il ne se repose que quand il est fatigué ; il ne s'accouple que rarement , et seulement à des époques déterminées pour la propagation de sa race, quand un instinct irrésistible le porte vers l'objet de ses désirs.

La satisfaction de nos besoins sexuels n'a pas d'autre but que la conservation de notre vie, de notre santé, et la reproduction de notre race ; le plaisir est d'autant plus vif que les besoins sont plus forts et plus énergiques; mais chez les hommes les plus heureux, chez ceux qui vivent conformément à la nature , il perd de son attrait, dès que le besoin est satisfait.

Au delà de, cette mesure si souvent dépassée dans les classes moyennes et élevées, commencent la luxure et la débauche. Multiplier les excitations des sens, cela s’appelle vivre. « J'ai beaucoup vécu », dit le libertin énervé; il me semble, au contraire , qu'il a vécu fort peu.

La nature a départi à chaque homme en particulier une certaine somme de plaisirs matériels que son système nerveux peut supporter sans préjudice pour la santé. L'homme tempérant apprendra bientôt, par une expérience faite de bonne foi, la limite qui convient à son organisation; et , en respectant les lois de la nature, il est plus heureux que ne saurait le croire l’homme abandonné à ses désirs.

Celui qui, séduit par de funestes exemples ou par les avantages de la fortune, dépasse la somme de jouissances que comporte sa santé, s'apercevra que les sens répugnent d'abord à cet excès. La satiété, le dégoût, ce sont là des avertissements que donne la sagesse de la nature. S'il continue à fatigué son corps par l' abus des plaisirs, s'il emploie des moyens factices pour réveiller ses nerfs engourdis, il parviendra sans doute à rendre son système nerveux très irritable , ce qui n'arrive point à l'homme tempérant; mais cette sensibilité excessive ne produit guère de jouissances réelles. Car, à mesure que, par des moyens artificiels, nous essayons d'augmenter le nombre et la vivacité de nos plaisirs nos sens s’émoussent, et nos impressions deviennent chaque jour moins agréables

Il faut au sybarite , pour exciter son appétit blasé, des épices, du sel , des vins forts et chargés d'alcool ; les aliments les plus assaisonnés lui deviennent insipides, et son palais demande chaque jour des sauces nouvelles , de nouvelles inventions de l'art , qui combattent les mouvements du cardia, et lui fassent oublier sa fonction naturelle, son devoir, si je puis dire , de rejeter le superflu. Cet homme que deux ou trois plats, ont bientôt rassasié, n'en exige pas moins impérieusement que le génie gastronomique lui serve encore deux ou trois services , dont les mets, par leur aspect agréable, par leur parfum suave , par leur saveur piquante et variée , enfin par l'abus des condiments, trompent sans cesse et de plus en plus les sens fatigués, et surtout la langue. Mais ce n'est là qu'un plaisir factice, tout d'imagination, ce n'est point une jouissance réelle, née d'un bien-être véritable et général.

Le paysan qui bat le blé dans la grange éprouve , en prenant son repas de bouillie de seigle , de pommes de terre et de sel , plus de jouissance que le gourmet, dont le dîner coûte peut-être mille fois davantage. L'un, gai, joyeux pendant le jour, dort, la nuit, d'un sommeil profond et réparateur ; l'autre se couche l'estomac tout surchargé; il ne connaît qu'un sommeil léger, plein d'angoisses , troublé par des rêves pénibles , et , quand il se lève le matin , il a le front assombri, la langue épaisse ; ses bâillements convulsifs attestent assez que la nuit ne lui a point apporté un repos bienfaisant et salutaire.

Lequel vaut mieux, du repas pris sous le chaume ou du somptueux festin? Qui , du paysan ou du gastronome, a goûté la jouissance la plus élevée, la plus réelle ? A quelle table s'est assis le vrai plaisir ?

Le villageois qui boit de la bière le dimanche éprouve ce jour-là plus de plaisir que le riche président n'en a trouvé à boire pendant toute la semaine les vins les plus exquis et les plus chers. L'un en se désaltérant tous les jours de travail à la source voisine de sa pauvre chaumière, a conservé sa santé, son humeur joyeuse; l'autre a dépensé beaucoup d'argent pour s'échauffer et s'étourdir.

En vain le libertin s'imagine qu'à dissiper honteusement des forces créées pour une fin plus noble, il trouvera de vifs plaisirs et des jouissances heureuses. Sans parier de l'affaiblissement et des souffrances sans nombre qui sont les suites inévitables de ses écarts insensés, sans rappeler qu'il se prive ainsi des douces joies de la paternité, sans montrer les rides précoces que la débauche marque profondément sur son front sillonné, le libertin reste toujours l'esclave misérable d'une habitude qui lui cause moins de plaisir que de peines et de douleurs. Infortuné! il ignore les charmes ineffables de ces rares et féconds embrassements d'une tendre épouse, dont la vertu , la pudeur inspirent le respect, et savent remplir le lit conjugal des jouissances d'un véritable amour.

Celui qui aime à vider jusqu'à la lie la coupe de la volupté, pourra trouver ce qu'il cherche sur la couche effrontée des courtisanes. Mais adieu à toute sensation délicate! le cœur s’émousse; l'amour, cet ange du ciel, devient pour l'enfant perdu de la débauche un jouet ridicule. Bientôt le libertin verra ses sens même s’engourdir et s'éteindre, si bien qu'il faudra, pour les exciter, les plus grossiers aiguillons et des ressources qui, en révoltant la pudeur, font frémir l'imagination. L'épuisement du corps et de l'âme, le mépris de soi-même, le dégoût de la vie, une mort misérable et prématurée, voilà donc les fruits de ces prétendus plaisirs!

Que les hautes classes sachent le comprendre , elles qui s'efforcent de se distinguer par le raffinement des mœurs , par l'éclat du dehors et des apparences , pourquoi, dans les choses de l'amour, sont-elles si inférieures aux classes pauvres? Pourquoi tombent t’elles si bas et dans un tel excès d'abrutissement? C'est qu'elles veulent trop jouir, et trop vite. Les riches pourraient être heureux s'ils connaissaient la véritable, l'unique voie qui conduit au bonheur, la source intarissable des jouissances les plus réelles et les plus vives , des joies abondantes et profondes : la modération.

S. HAHNEMANN : Études de Médecine Homœopathique. éd. BAILLIERE 1855

Source : De la satisfaction des sens sur le site Planète Homéo.

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