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jeudi 3 mai 2007

La légende des hommes bleus

« En vérité, ce que tu vois cache ce que tu dois voir et ce que tu entends brouille ce que tu dois entendre. Derrière le mirage se cache le puits qui apaisera ta soif » Ainsi parla le Maître de la Grâce Puissante à Jaffar le Berbère des plateaux du Hoggar.

Alors que Jaffar descendait des montagnes pour traverser les dunes du sable de feu, il demanda au Tout-Puissant de l'accompagner pour lui montrer la route. Et le Créateur lui fit l'insigne honneur d'aller à ses côtés par-delà les palmiers, les ravins et les regs. Ils parlèrent de sagesse, et de philosophie, de la quête de l'homme, de sa paix intérieure. Jaffar pria le Sachant Éternel de lui faire vivre le merveilleux, de lui faire toucher l'impossible.

Mais souvent pour Jaffar, les mots du Puissant n'avaient pas de sens. Le jeune homme gâchait les images, égarait les paraboles, trébuchait sur les symboles que le Suprême Esprit posait sur son chemin.

Un peu plus tard, le Vénéré Connaissant interrompit la marche, demandant à Jaffar de lui chercher de l'eau pour épancher sa soif. Et Jaffar partit en quête d'un puits, d'une source ou d'un lac pour désaltérer le Maître de l'Univers. Il marcha d'une dune à l'autre, suivit une longue faille creusée dans la roche par le temps et les pluies. Le ravin s'enfonçait vers les plaines côtières, vers les lacs lointains et les rivières enfouies.

Et soudain une apparition au loin lui caressa les sens. Une vision de rêve ressemblant à une jeune fille assise au bord de l'eau attira son regard. Il s'approcha, et découvrit la beauté faite femme, la finesse, le charme et l'amour réunis.

Aux premiers mots, ils comprirent tous deux que le destin les avait désignés pour vivre ensemble. Jaffar demanda la jeune fille en mariage et l'épousa.

Ce fut l'occasion de grandes fêtes dont les sables encore se souviennent. Un, puis deux, puis d'autres nombreux enfants naquirent de leur amour et leur vie fut paisible, et leurs jours furent heureux. Leurs petits grandirent, se marièrent à leur tour, et la deuxième génération d'enfants vécut aussi chez Jaffar, de sorte qu'il eut une grande famille qui comptait douze fils, sept filles, et cinquante petits enfants. En vérité, Jaffar avait créé un peuple de bergers, élevant les troupeaux de chèvres qui allaient se multipliant.

Mais un jour, aussi fort que le bonheur intense qui les faisait vivre, s'abattit le malheur terrible sur toute la région. L'eau des puits fut malade et les bêtes et les hommes moururent comme les éphémères autour des feux du soir. Alors Jaffar emmena sa famille, telle une grande tribu, à travers le désert, pour fuir le malheur qui les poursuivait. Et le malheur précisément courut plus vite qu'eux.

Un à un ses enfants disparurent, et ses petits-enfants aussi, et sa femme d'amour perdit la vie dans ses bras. La soif, la faim, le sable, la maladie eurent raison du peuple de Jaffar qu'il avait mis des années à bâtir. Alors, tel un ermite, il se réfugia seul dans la région des grottes, avec une chèvre et son mâle, ses seuls trésors pour recommencer à vivre.

Un jour qu'il tirait de l'eau du puits, le Seigneur des Mondes lui apparut soudain et lui dit : « Eh bien, que faistu, Jaffar ? Qu'attends-tu pour apaiser ma soif ? Cela fait une heure que tu es parti et je commence à m'impatienter ! »

« Une heure ! » s'exclama Jaffar. « Une heure, mais cela fait près de quarante années, Astre Suprême ! » Une vie, aux yeux de Jaffar, s'était écoulée en quelques dizaines de minutes pour le Tout-Puissant. Alors Jaffar reconnut la métaphore et remercia le Créateur de lui avoir fait comprendre ce qui sépare la réalité de l'illusion, et la vérité du rêve.

Source : La légende des hommes bleus.

Alexandre le grand de Farid al-dîn Attar

Alexandre le Grand

Alexandre le Grand avait atteint les sommets de la gloire. Roi de Macédoine, il avait soumis les Grecs et vaincu les Perses, fait plier l’Égypte, et franchi l’Euphrate, traversé le Tigre et atteint l’Indus, pris Persépolis et Babylone, sans jamais faiblir ni se soumettre. Sa réputation s’étendait d’Orient en Occident, les mondes de sa double puissance. Ses légions avaient rencontré et vaincu bien des peuples, et sa toute-puissance était solidement établie sur la terre. Il avait tout connu ; des plus grandes victoires aux plus immenses richesses. Et comme il fut élève d’Aristote, il était empreint de finesse et d’intelligence.

Un jour qu’il suivait une route, il atteignit le couchant du soleil. Il planta là son camp et réclama un sage pour l’instruire davantage. Il fit chercher un maître qui pourrait lui enseigner la connaissance que lui, tout empereur qu’il fût, ne possédait point encore. Car c’était par le seul savoir qu’il pourrait demeurer Alexandre.

Certains lui indiquèrent un maître d’une sagesse supérieure, ermite vivant aux confins des falaises. D’autres le disaient fou. Alexandre qui ne croyait qu’en ses oeuvres voulut se faire sa propre idée et l’envoya chercher.

Mais l’ermite n’entendait pas quitter sa grotte. L’émissaire insista alors, menaça même, rappelant qu’Alexandre pouvait tout, puisque roi des deux mondes.

Le sage pourtant ne s’en émut point, prétextant qu’il n’avait pas à obéir à cet empereur dont il ne dépendait pas, ajoutant qu’il était lui-même le maître de celui dont Alexandre était le serviteur. Et puisque lui était le maître il n’entendait pas se déranger pour un serviteur. Quand Alexandre entendit les propos rapportés par l’émissaire, il entra en violent courroux, pensant que l’homme était au moins fou ou ignorant. Comment osait-il l’appeler serviteur et lui opposer un refus, à lui, l’ami de Dieu ? Nul n’avait jusque-là eu l’outrecuidance de le nommer serviteur. Nul puissant, roi ou sultan, ou même simple sujet n’avait eu l’inconscience de le traiter ainsi ! Le sage néanmoins osa lui répliquer : « Illustre Majesté, Empereur suprême, tu as couru les deux mondes en quête d’immortalité par un violent désir dont tu es devenu l’esclave, le serviteur. Avec toutes tes légions et tes armées vaillantes, tu as vaincu tous les continents par souci de puissance et de cupidité.

Et tu n’es donc que serviteur de mon serviteur.

A présent tu veux aussi trouver la source de vie.

Ton coeur ne se repaît qu’à la cupidité et au désir : tu n’es qu’un serviteur de mon serviteur puisque tu crains de perdre ta vie et tes trésors.

Or, pour gagner les mystères de la vie, les biens matériels ne te serviront point. C’est l’univers qu’il te faut gagner, mais l’univers de l’âme. »

Alexandre comprit alors que l’homme n’était point fou, qu’il était sage parmi les sages et empereur d’entre eux. Et que l’avoir rencontré était pour Alexandre, en ce nouveau voyage, l’une de ses plus grandes victoires.

Source : Alexandre le grand dans In Libro Veritas : la littérature équitable.

mercredi 29 novembre 2006

Chant des Esprits sur les Eaux de Johann Wolfgang von Goethe

L'âme de l'homme
ressemble à l'eau;
l'eau vient du ciel
et puis retombe
sur cette terre,
éternellement changeante.

Qu'il tombe de la haute
muraille escarpée du roc,
le pur rayon :
alors il poudroie très doux
en vagues de nuages
jusqu'au rocher poli,
et là, accueilli en douceur,
il ondoie, léger voile,
en chuchotant
vers les profondeurs.

Mais si les rocs
brisent sa chute,
maussade il écume
et tombe par degrés
dans l'abîme.
Dans un lit uni
il glisse doux dans la vallée,
et dans le calme plat de la mer
toutes les constellations
mirent leur face.

Le vent est de la vague
le tendre bien-aimé :
le vent mêle de fond en comble
les flots écumants.

Ame de l'homme,
que tu ressembles à l'eau !
Destin de l'homme,
que tu ressembles au vent !

mardi 18 juillet 2006

Nuit de lune

Nuit de Lune (1835)


Joseph von Eichendorff


Traduction: Wikisource

C'était comme si le ciel
Eût embrassé la terre,
Comme si dans la clarté des fleurs,
Elle eût à rêver de lui.

L'air passait à travers champs,
Les épis se berçaient lentement,
Les forêts bruissaient doucement,
Tant la nuit était claire d'étoiles.

Et mon âme étendait
Largement ses ailes,
Volait à travers des campagnes calmes,
Comme pour rentrer chez elle.

Source : Wikisource.

vendredi 23 juin 2006

Les vers dorés des Pythagoriciens

Introduction

...« Les anciens avaient l’habitude de comparer à l’or tout ce qu’ils jugeaient sans défauts et beau par excellence: ainsi, par « l’Âge d’or » ils entendaient l’âge des vertus et du bonheur; et par les « Vers dorés », les vers où la doctrine la plus pure était renfermée. Ils attribuaient constamment ces Vers à Pythagore, non qu’ils crussent que ce philosophe les eût composés lui-même, mais parce qu’ils savaient que celui de ses disciples dont ils étaient l’ouvrage, y avait exposé l’exacte doctrine de son maître, et les avait tous fondés sur des maximes sorties de sa bouche. Ce disciple, recommandable par ses lumières, et surtout par son attachement aux préceptes de Pythagore, se nommait Lysis.

Après la mort de ce Philosophe, et lorsque ses ennemis, momentanément triomphants, eurent élevé à Crotone et à Mésapont cette terrible persécution qui coûta la vie à un si grand nombre de Pythagoriciens, écrasés sous les débris de leur école incendiée, ou contraints de mourir de faim dans le temple des Muses, Lysis, heureusement échappé à ces désastres, se retira en Grèce, où, voulant répandre la secte de Pythagore, dont on s’attachait à calomnier les principes, il crut nécessaire de dresser une sorte de formulaire qui contînt les bases de la morale, et les principales règles de conduite données par cet homme célèbre.

C’est à ce mouvement généreux que nous devons les Vers philosophiques que j’ai essayé de traduire en français. Ces Vers appelés dorés par la raison que j’ai dite, contiennent les sentiments de Pythagore, et sont tout ce qui nous reste de véritablement authentique touchant l’un des plus grands hommes de l’antiquité »

Antoine Fabre-d’Olivet (1767-1825)

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