Ayya Khema
L'auteur est une nonne bouddhiste de la branche du bouddhisme theravâda / Vipassana. Elle a été très active à promouvoir une pratique du bouddhisme chez les femmes en fondant plusieurs centres bouddhistes autour du monde en Australie, au Sri Lanka et en Allemagne. Vous pouvez consulter sa biographie complète en anglais sur Wikipedia.
Description du livre
Ces douze causeries sur la pratique du Dhamma (qui permet de se tenir à l'écart d'un désastre menaçant) directes, claires, inspirées, deviennent vite un guide pour développer la vision intérieure dans le cadre d'une bonne relation avec soi-même et les autres. Cette lecture invite à la paix de l'esprit et, pour les résolus, permet de pénétrer la nature de l'existence humaine et de la qualifier.
Un extrait concernant la relation à soi-même
Le Discours de l’amour bienveillant (Karaniya-Metta Sutta) nous explique comment nous comporter avec les autres. Nous devons les traiter comme nos propres enfants. Ce sutta ne dit rien de particulier sur le comportement à tenir vis à vis de nous-mêmes ni comment agir. Pourtant la façon dont nous nous traitons est le plus vraisemblablement celle dont nous allons user avec les autres. La manière dont nous agissons avec les autres est certainement la façon dont nous nous conduirons envers nous-mêmes.
Comme chacun de nous est d’abord concerné par lui-même, il est très important d’avoir une idée de nos aspirations lorsque nous sommes confrontés à notre personne. Penser que nous affrontons le monde par, et à cause de, nos relations avec autrui reste une idée, un concept. En réalité, nous confrontons constamment nos propres faiblesses et forces, et réagissons en conséquence. Ce qui se passe autour de nous n’est qu’une suite d’enclenchements faisant ressortir nos stimulations intérieures.
Le monde qui nous entoure se compose de situations, d’expériences et de personnes avec lesquelles nous sommes en contact par nos sens. Le plus fort des sens est l’esprit, le dispositif du penser qui a, d’ailleurs, la fâcheuse tendance à échapper à notre contrôle. Nous ne sommes pas présents à ce qui se passe réellement pour la bonne raison que nous ignorons ce qui vraiment est en action. Nous sommes intéressés par ce que nous croyons qu’il se passe. Deux façons de penser président aux choses pouvant arriver : soit les craindre, soit les espérer. Aucune des deux n’est réaliste. Nos espérances sont des désirs non fondés et nos peurs sont des inquiétudes sans fondement. Les deux créent du tumulte : Les espoirs sont mêlés à la peur qu’ils ne se réalisent pas. Chaque aspiration vécue renferme une angoisse non encore matérialisée, qui peut-être jamais, allez savoir ! ne se matérialisera. Nos peurs sont également liées à l’espérance. Peut-être ne se produiront-elles pas si nous négocions les choses avec assez d’habileté. Et, de nouveau, nous avons peur de ne pas être assez intelligents…
Nous nous trouvons ainsi dans une situation de tension et de malaise que nous aimons soulager par toute sorte de distractions. Nous essayons d’amoindrir nos crispations par la nourriture, la boisson, les loisirs, la parole, le sommeil. N’importe laquelle de ces disponibilités semble faire l’affaire. Dans le monde, nous avons les journaux, la télévIsion, le téléphone ; sans pouvoir user de ces moyens, tout ce qui nous tombe sous la main fait l’affaire. S’il nous est impossible de trouver quoi que ce soit, nous devenons déprimés ou irrités.
En réalité cette dispersion (Papanca) commence parce que l’esprit s’octroie la liberté de demeurer hors de contrôle. Au lieu de s’occuper de ce qui se passe réellement, nous le laissons aller dans toutes les directions - penser au futur avec crainte ou espoir, penser au passé avec regret ou nostalgie.
L’attention consiste à demeurer attentif à chaque moment. Mais l’attention parfaite est difficile à réaliser, par ce que l’esprit a tendance à s’éparpiller. Nous devons faire plus que juste nous dire de rester attentifs. Si nous étions attentifs, parfaitement, à chaque moment, cette dispersion n’aurait pas lieu. Elle ne serait pas possible. Mais puisque nous ne sommes pas vigilants, nous avons besoin d’autres aides pour garder notre équilibre. Un esprit sain est un esprit bien équilibré. Un esprit sain est un esprit qui ne prend pas la tangente. Il n’est pas inquiet, déprimé et craintif, ou exubérant à propos de rien du tout. Pour jouir d’un esprit bien équilibré, il ne suffit pas de nous dire : « Sois attentif ». Si nous en étions capables, nous n’aurions besoin de rien d’autre. Tout irait.
Une des meilleures choses à faire pour nous aider est de ne pas nous sous-estimer. S’apprécier à sa juste valeur ne connote pas un quelconque sentiment de supériorité ni l’esprit de compétition « Je peux le faire mieux que toi », ou « Quoique tu accomplisses, je peux être meilleur ». Rien de tel ! L’estime ne signifie pas énumérer toutes les choses que nous savons. Un écart énorme existe entre le savoir personnel et ce que nous faisons. Il est inutile de penser à nos connaissances mais il est utile de réfléchir à ce que nous avons déjà accompli. Rien n’a d’importance mis à part ce que nous faisons vraiment. Ce que nous pourrions exécuter un jour ne porte pas à conséquence. Ce que nous savons reste immatériel. Mais ce que nous faisons réellement porte à conséquence. Si nous voulons nous estimer, nous devons nous souvenir de nos actions, des saines.
Il s’avère pour nous positif d’être personnellement contents. Si nous ne sommes pas capables de créer un tel sentiment, nous ne le serons jamais nulle part ni avec qui que ce soit. Il va nous falloir cohabiter avec la personne spécifique que nous sommes encore un bon bout de temps. Elle ne va pas s’exiler ni être expédiée ailleurs. Si je n’éprouve aucun contentement avec « moi », comment pourrais-je en trouver avec quelqu’un d’autre, ou avec quelque chose d’autre ? Qui nous sommes est toujours l’obstacle. La première et principale priorité reste de trouver du plaisir à vivre avec soi-même.
Le Karaniya-Metta Sutta exprime cela très bien. Ce texte conseille d’être pleinement content, et facilement satisfait. Il mentionne quinze conditions conduisant à la tranquillité. Sans trouver ces quinze conditions en nous-mêmes, nous ne trouverons la paix nulle part.
Etre assez content intérieurement signifie être satisfait de ce que nous possédons, de notre apparence, de nos paroles, de notre vie, de nos réactions. Tout doit être teinté de contentement. Ça ne veut pas dire que nous ne puissions pas nous améliorer. Mais si la sensation d’un sérieux manque en soi perdure, rien ne pourra aller bien. La tension de désirer quelque chose d’autre existera toujours. Désirer est tension, ne pas être satisfait. La cause de toute ambition est toujours l’insatisfaction personnelle, dukkha. Plus nous abandonnons le vouloir, et plus nous abandonnons dukkha. Pour laisser aller le désir, nous devons être contents de ce qui est.
Peut-être que ce qui existe n’est pas exactement ce que nous attendons. Tout le monde a des espérances. Nous espérons tous quelque chose de nous et des autres. Aucune aspiration n’est réaliste. Aucune attente ne tient compte du manque de permanence (anicca). Tout change constamment. Ce fut peut-être parfaitement bien pendant un moment, mais ça ne l’est plus. Comment pourrions-nous réussir à nous sentir exaucés dans des situations considérées comme peu ou prou insatisfaisantes ? Tout d’abord, observons la situation d’un peu plus près. « Qu’a-t-elle d’insatisfaisant ? Pourquoi n’est-elle pas satisfaisante ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qu’elle ne nous offre pas ? En quoi ne soutient-elle pas suffisamment notre ego, ne se conforme-t-elle pas suffisamment à nos espérances ? » Une fois que nous aurons vu ce qui rend le contexte inconfortable, nous nous rendrons compte que ce n’est qu’une bagatelle ne valant même pas la peine d’en parler.
Lorsque quelque chose résiste intérieurement, sans cesse générateur de dukkha, de tension, de désirs inassouvis, pourquoi ne pas nous remémorer les choses suivantes. « Ma nature est de mourir. Je ne peux éviter la mort ». Rien ne dit que je vais mourir dans cinquante ans. Peut-être, vais-je mourir dans cinq minutes. Pourquoi ne pas conserver cette idée consciemment ? Garder la mort à l’esprit n’est ni morbide ni déprimant. Cela nous rapproche un peu plus de la réalité car c’est la vérité. Est-ce que nous réagirions vraiment avec un tel mécontentement si nous savions qu’il ne nous reste plus que dix minutes à vivre ? Pourquoi ne pas essayer cette technique ? Je vous garantis que si nous nous souvenons vraiment qu’il ne nous reste pas plus de dix minutes à vivre, aucune de nos réactions présentes n’ira pour des futilités dans le sens d’un mécontentement. Il se peut que la mort nous effraye. La peur provient de la haine. A quoi sert de haïr une échéance inévitable ? Pourquoi devrions-nous détester ce qui arrivera de toutes façons ? Attitude stupide, mais courante chez la plupart des gens. Voilà bien une de nos innombrables absurdités ! Afin d’être en relation avec nous-mêmes, d’une façon satisfaisante pour nous et pour les autres, le contentement est de la plus grande importance. Ce qui comprend l’appréciation de soi lorsque tout ce qui nous entoure semble créer des ravages et du tumulte, revenons à nous-mêmes et à la bonté innée. Retournons à ce qui est pur. Nous ne pourrions pas nous clarifier si nous n’avions pas déjà une base intérieure pure. Si nous étions tout à fait souillés, s’il n’y avait pas une petite parcelle de fraîcheur, il n’y aurait pas beaucoup de chance de purification. Notre pureté doit être étendue, cultivée et mise à profit. Dans le cas de troubles et de peur, d’aversion ou de souffrance occasionnée par un désir insatisfait, revenons à notre centre, là où réside le contentement. Nous pouvons le trouver à l’intérieur.
Nous défendons tous la notion erronée que le contentement dépendrait de certaines conditions ou de certaines personnes - une autre de nos lubies. Comment peut-il dépendre d’une chose extérieure à nous ? Si nous optons pour une réelle paix, elle ne peut découler que de notre potentiel intérieur . toujours à disposition. Les gens et les situations qui nous procurent de la satisfaction se transforment en une dépendance par le fait qu’ils nous rendent esclaves des autres. Personne ne veut être un esclave, nous voulons tous devenir totalement libres.
Trouvons le bonheur résidant dans notre propre pureté, il est indépendant et n’est pas sujet au désappointement causé par le manque de permanence. La seule chose dont il dépende provient de l’attention que nous lui portons. Nous ne connaissons que les choses que nous surveillons consciemment. Avez-vous essayé d’être attentif à ce qui est sain, bienfaisant, habile et utile ? Essayer d’être attentif uniquement à cela mène au bonheur. Ne prêtez attention à rien d’autre. Revenez sans cesse à votre pureté native.
Dans la vie, le sens de la gratitude nous est d’un grand secours. Il n’a pas besoin d’être dirigé vers quelqu’un ou quelque chose de particulier. Nous pouvons engendrer de la gratitude pour les conditions karmiques nous ayant permis d’accomplir un réel effort, cela peut être avoir un sens de réelle gratitude pour la chance d’avoir un corps en relative bonne condition. Cela ne signifie pas prendre une chose positive pour acquise. Plus les gens sont riches et plus ils prennent leurs privilèges pour acquis. Plus ils jouissent d’une bonne santé, plus ils ont de chance et plus ils considèrent ces bienfaits comme quelque chose d’acquis. Cette attitude non plus n’engendre pas le bonheur. Seule la gratitude pour les conditions positives crée le contentement.
Si nous ne cultivons pas une juste attitude vis-à-vis de nous-mêmes, le sentiment d’être bien dans notre peau, le sentiment d’être capable de nous reposer et de nous relaxer intérieurement, nulle part nous ne nous sentirons chez nous - là où est notre cœur et non juste là où est notre corps. C’est pourquoi, lorsque notre coeur s’ouvre et que naît un sentiment d’estime, de gratitude et de contentement, de bien-être avec nous-mêmes, nous sommes chez nous. Et ainsi serons-nous aussi chez nous n’importe où sur cette terre, n’importe où dans cet univers.
Notre demeure ne dépend pas d’une maison, au grand jamais de quatre murs. Où est notre foyer ? Essayons de le trouver dans notre propre coeur, uniquement là. Un bon chez soi doit comporter de la chaleur, spécialement quand le monde extérieur semble froid. Où peut être cette ardeur si ce n’est dans notre coeur ? C’est l’endroit où nous devons créer le confort auquel nous aspirons, le bien-être que tous nous désirons, le bonheur que tous nous recherchons, la paix si fugace. Notre coeur est le centre de notre création, centre où nous devons demeurer surtout lorsque des difficultés surgissent. Quand tout va très facilement, chacun prend ces circonstances comme son dû. Mais, quand les difficultés apparaissent, nous regardons autour de nous et cherchons de l’aide. Ce soutien réside dans notre propre coeur, toujours là si nous lui avons créé une solide base de vie, établie en notre sein sur une fondation sûre, chaude et aimante.
Dépendre des autres pour notre bonheur est insensé, c’est le moins que l’on puisse dire. Dépendre des autres pour notre sécurité est absurde. Comment pouvons-nous nous reposer sur quelqu’un recherchant aussi son propre bonheur et sa propre sécurité ? Seule la personne les ayant trouvés possède quelque chose de précieux - un bon chez soi. Etre centré sur son bonheur et sa sécurité donne la possibilité et la capacité de résister à tous les troubles et difficultés surgissant extérieurement. Dans le monde, personne ne s’en sort sans tumulte ni épreuves, - dukkha. Mais c’est seulement lorsque nous avons trouvé notre propre centre que nous savons où aller en cas d’urgence : dans notre propre coeur. Les pressions peuvent être minimes, par exemple trop de gens jacassant en même temps, des demandes pressantes, des espérances non satisfaites, n’importe quelle sorte d’urgence. Le coeur est toujours l’endroit où se rendre. Rentrer chez soi, au coeur, là où il y a chaleur, estime, gratitude et contentement. C’est ce que nous devons apprendre à faire. Cela ne vient pas tout seul. La façon d’apprendre consiste à finir par abandonner chaque pensée malsaine afin de ne garder en nous que ce qui est sain, habile, bienfaisant et positif. Plus nous aurons de pensées négatives et plus ce chez nous, support de notre vie, deviendra souillé, sale. Après avoir appris à abandonner une pensée, nous trouverons la force de répéter ce geste à chaque occasion. Ce faisant nous nettoyons notre havre. Tous, chaque jour , balayons notre chambre. Tous nous balayons les allées. Balayons aussi notre cœur ! Nous pouvons aussi faire le ménage des allées et du coeur en même temps. Ça ne prend pas plus de temps. Il faut le clarifier pour le purifier de la peur, de la résistance, et même des vains espoirs. L’espoir n’est pas la réalité. Espoir et peur vont ensemble.
Avec un sentiment de chaleur et de sécurité au cœur, la méditation s’en porte mieux. Pas seulement la concentration mais l’existence même prend une texture différente. C’est comme si nous réalisions que nous avons vécu d’une façon fragmentée et que, maintenant, cette vie en morceaux s’unifie. Grâce à une vie unifiée un sentiment de complétude voit le jour - une façon de rentrer sur la voie Ariyan, la Noble Voie, et de vivre une vie sanctifiée. C’est quelque chose à mettre en acte pour nous-mêmes et par nous-mêmes. Chaque fois que vous assainissez quelque chose - et tout le monde a l’occasion de s’y employer (nous nettoyons les allées, les plates-bandes de fleurs, les arbres trop touffus, la cuisine, la vaisselle, toutes sortes de saletés), souvenez-vous, s’il vous plaît, de nettoyer aussi votre coeur. Les deux actions doivent aller ensemble. Il est si difficile de se souvenir que lorsque nous agissons physiquement, nous pouvons aussi nous purifier mentalement.
Grâce à une base centrale propre et solide, notre texture intérieure est imprégnée d’amour. Un amour certain pour soi-même a, bien sûr, tendance à rayonner à l’extérieur de nous. Nul besoin d’essayer d’être délibérément aimant avec les autres, cette modalité est une conséquence de s’aimer soi-même.
S’aimer soi-même, dans ce contexte, n’a rien à voir avec de la complaisance. Nous aimer signifie cultiver un sentiment positif envers nous-mêmes. Avoir de l’amour pour les autres devient alors facile. Une sensation d’unité envahit tout notre être, peu de chance subsiste pour se disperser à nouveau. Nous voilà solides, d’un seul bloc. Non seulement nous le ressentons mais autrui aussi constate cette fermeté. Une fois ceci établi personnellement, nous devenons aussi un ancrage, un rocher où les autres peuvent prendre pied. Un roc solide ne s’effrite pas lorsque les autres y prennent appui. Mais s’il est friable et trop poreux, l’adversité l’affligera toujours. C’est cette solidité qu’il faut établir dans notre coeur pour que rien de ce qui se passe à l’extérieur de lui ne l’entaille. La vie sainte signifie devenir entier, tout d’une pièce.
Source : Extrait du livre "Être une île" de Ayya Khema
154 pages - Broché - 14 x 21 - Éditeur : Dharma - Isbn 2.86487.028.2 -1997